Quand ils ont été dépêchés au Caire, début février, après la découverte du corps roué de coups de leur compatriote Giulio Regeni, les six officiers de police italiens savaient que le mystère entourant sa disparition et sa mort ne serait pas facile à élucider. Les autorités égyptiennes avaient beau déclarer à la presse que ce doctorant de 28 ans avait probablement été renversé par une voiture, la présence sur son corps de séquelles manifestes de torture avait alerté Rome.
Les mêmes autorités leur avaient assuré leur “totale coopération”, ce qui s’est rapidement révélé n’être qu’une belle promesse. Les Italiens ont pu interroger les témoins – mais pendant quelques minutes seulement, toujours en présence de policiers locaux, et après que la police égyptienne eut, elle, mené de longs interrogatoires. Les Italiens ont demandé les images des caméras de surveillance de la station de métro où Giulio Regeni avait utilisé son portable pour la dernière fois, mais les Égyptiens ont laissé filer plusieurs jours, au terme desquels les images du jour de sa disparition avaient été effacées et remplacées par de nouveaux enregistrements. Quant aux relevés des appels téléphoniques mobiles passés dans le périmètre autour du domicile de Regeni, où il a disparu le 25 janvier, et autour de l’endroit où son cadavre a été retrouvé neuf jours plus tard, les Européens se sont vu opposer une fin de non-recevoir. Le major général Khaled Shalaby, qui fait partie des officiers en charge de la direction de l’enquête et qui a déclaré à la presse que rien ne laissait soupçonner un acte criminel, est un personnage controversé : il a été condamné il y a plus de dix ans pour enlèvement et torture, mais seulement à une peine avec sursis.
Les autorités égyptiennes espéraient peut-être que le reste du monde, privé d’une information indépendante, se résoudrait à accepter leurs conclusions très insatisfaisantes sur la mort de Giulio Regeni. Mais, à l’ère du numérique, un meurtre reste plus difficilement impuni.
Les Nations unies à Fiumicello
Une dizaine de jours après la découverte du corps de la victime, le procureur italien Sergio Colaiocco et deux officiers de police se rendaient dans sa ville natale de Fiumicello, dans le nord-est du pays, pour assister à ses obsèques : une occasion précieuse d’interroger de nombreux témoins clés, tous réunis au même endroit.
Souhaitant une cérémonie simple et sobre, la famille avait demandé aux participants de ne pas apporter d’appareil photo et de ne pas brandir de pancartes. Plus de 3 000 personnes étaient venues assister à la cérémonie, beaucoup trop pour le gymnase scolaire qui était censé l’accueillir. Le jour de l’enterrement de Giulio Regeni, cette bourgade de moins de 5 000 âmes s’est transformée en une sorte de Nations unies en miniature, comme en hommage à l’existence trop brève et ultracosmopolite de l’Italien.
Il y avait là des amis venus des États-Unis, où il avait séjourné en tant que lycéen, d’Amérique latine, une région qu’il connaissait bien, du Royaume-Uni, où il avait fait ses études de premier cycle et son doctorat, d’Allemagne et d’Autriche, car il y avait travaillé, et bien sûr d’Égypte, où il vivait depuis novembre 2015 pour ses recherches sur le syndicalisme dans le cadre de sa thèse à Cambridge. “Nous avons installé tous ces gens chez des amis, regroupés en fonction des langues qu’ils parlaient”, raconte Paola Regeni, la mère de Giulio, enseignante de profession.
Pièces à conviction
La police a ainsi pu interroger les témoins, comme elle le souhaitait, mais ce n’est pas tout. Dans un geste d’une étonnante ouverture, les amis et les proches de Giulio, en plein deuil, ont remis leurs téléphones et leurs ordinateurs portables à la police. La génération Facebook, dont ils sont, est habituée à ouvrir grand la porte de sa vie
Source : COURRIER INTERNATIONAL & THE GUARDIAN