Les fuites de conversations téléphoniques et d'enregistrements audio sont une arme psychologique qui cible la vie privée des individus et expose leurs confidences au grand public. Même si ces enregistrements ne contiennent pas forcément d'informations ou documents, ils restent un procédé dont l’objectif principal est de passer un message à l’ennemi: les sources de fuites détiennent toutes vos informations.
Probablement, cette arme est apparue en 2017 dans la foulée de l'annulation du Sénat. Le téléphone du sénateur Mohamed Ould Ghadda tombe entre les mains de l’une certaine entité. Ses adversaires se sont procurés d'un "trésor" d'enregistrements qui furent rapidement volés et publiés sur toutes les plateformes. D'autres fuites attribuées à d'autres hommes politiques, dont Mohamed Ould Khlil et Moustafa Ould Limam Shafi'i, ont suivi. L’objectif politique de cette bataille consistait vraisemblablement à justifier la décision, jugée inconstitutionnelle selon l'Opposition, de supprimer la deuxième chambre du Parlement.
Récemment, le député et chef du mouvement IRA, Birame Ould Dah Abeid a été, lui aussi, la cible d’un nouveau lot de fuites. Plusieurs conversations privées, qui lui sont attribuées, ont été divulguées. Toutefois, l'homme a confirmé lors d’une récente conférence de presse que l'entité qui avait divulgué ces appels avait procédé à plusieurs trucages.
Bouamatou et Ould Waghef : les points communs
L'homme d'affaires Mohamed Ould Bouamatou est largement perçu comme le plus grand adversaire de l'ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz. Dans la bataille acharnée entre les deux hommes, tous les arsenaux disponibles ont été utilisés, et ce à plusieurs reprises. Tout au long d'une décennie, Bouamatou a vécu en exil. Plusieurs mandats d'arrêt ont été émis à son encontre, mais la guerre des fuites a, en tout cas, épargné sa propre voix, tandis que des enregistrements de Mohamed Ould Ghadda, son bras droit politique, ont été maintes fois divulgués.
Aujourd'hui, alors que Bouamatou se réinstalle dans le pays et que Ould Ghadda trouve sa liberté, voilà cette discussion téléphonique entre les deux hommes qui fait irruption alors que tout le monde s'attend, impatiemment, à que le dossier de l'ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz soit transféré à la justice. Concernant le contenu, rien ne semble pertinent : en effet, dans la plupart de leur conversation, les deux hommes se moquaient du président sortant.
Dans une autre conversation, divulguée une semaine seulement après celle-ci, on écoute Yahya Ould Ahmed El-Waghef, le rapporteur de la Commission parlementaire qui enquêtait dans les dossiers de la décennie d'Aziz. Un interlocuteur semble tenter de le persuader pour enlever un nom de la liste de personnes accusées de corruption.
Qui est donc à l'origine de la divulgation de ces deux conversations controversées et à ce moment précis ?
Quoi qu'il en soit, le point commun entre Bouamatou et Ould Ahmed El-Waghef est bien connu : les deux sont les ennemis jurés de l'ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz. Celui-ci détient-il encore quelques moyens de pression ? Peut-il toujours faire sortir des dossiers et faire des révélations contre ses adversaires, même s'il s'agit des enregistrements de conversations téléphoniques passées après son départ du pouvoir ? Les partisans d’Aziz veulent-ils à travers ces fuites (s’ils en étaient réellement les auteurs) passer des messages à leurs adversaires et à l’opinion publique ? Histoire d'affirmer que ce n’est que le début et que les jours à venir pourront voir des fuites plus sérieuses ? Ou bien s'agit-t-il juste d'une question de coïncidence, que Aziz en profitera certainement pour détourner l'opinion publique des nombreuses questions, de plus en plus posées sur lui ?
L’absence de poursuites épaissit le mystère
Bien que le contenu de ces appels ne contienne pas beaucoup d'informations, la vie privée des individus est un droit garanti par toutes les lois. Alors, pourquoi une information judiciaire n'a-t-elle pas été intentée contre les entreprises de télécommunications, par exemple ? Étant donné que celles-ci sont dans l'obligation, devant l'autorité de régulation et sur la base de cahiers de charge, de garantir la confidentialité des appels.
Le piratage informatique s'est-il développé en Mauritanie de sorte que tous les appels sont devenus entre les mains de hackers privés, grâce auxquels les politiciens peuvent régler leurs comptes même quand ils sont en dehors du pouvoir ?
Dans de nombreux pays, les services de sécurité sont couramment accusés d'intercepter les conversations téléphoniques pour collecter des informations. Toutefois, ces pratiques, qui restent secrètes et archivées, ne représentent aucune preuve judiciaire pour une condamnation. C’est le cas aux États-Unis, où le la justice fédérale prohibe toute information obtenue par espionnage.
Quoi qu'il en soit, ces fuites semblent être une méthode de guerre qui s'intensifie entre les factions politiques dans le pays. Ses victimes se vengent de leurs ennemies par les mêmes armes au lieu de faire recours à la justice. Cette situation s'aggrave-t-elle encore plus, au fur et à mesure de l'imminente ouverture des dossiers de la fameuse décennie d'Aziz ? Ou bien cette vague de fuites affecte-t-elle le traitement même de ces dossiers avant qu'ils ne soient renvoyés devant la Justice, et, ainsi, tout le monde se tourne vers "des solutions rationnelles" pour sauver les apparences ?
Moctar babettah