Pardonnez-moi ! Je confie votre terre à Allah/ Moctar Babtah

mar, 25/07/2023 - 17:03

C’est le temps ! Une mer tumultueuse embarquant l'homme dans un cercueil hermétiquement scellé. Ses vagues impétueuses le déposent à chaque fois sur une rive de la vie, le lançant là où elles le désirent, et souvent contre sa propre volonté.

Ce soir mélancolique, empreint de souvenirs de chômage et de mendicité autour des tables des bienfaiteurs, j'ai décidé - ou peut-être que le temps a décidé pour moi et j’ai laissé tomber - de me lancer dans le tumulte de l'émigration, de chercher un "refuge pour le noble" dqns les recoins éloignés de la terre, de traverser jusqu'au bout de l'horizon, au-delà des mers.

Pardonnez-moi... J'ai quitté votre terre il y a un mois, mes larmes se versant sur vos sables dont j’ai tenté, en vain, d'extraire quelques grammes de l'or dans les tranchées et des tunnels des orpailleurs. Résistant pendant des années face aux vents brûlants de Tasiast, j'ai finalement compris, bien trop tard, que l'or de Tasiast, de Tijirit et de Chegguat était l’apanage des corrompus et des multinationales.

Pardonnez-moi, car un soir, en contemplant le calme de vos eaux bleues, j'ai cru que c'était la mer la plus riche en poissons au monde. Mais après des années, tout ce que j'ai vu de cette prétendue richesse, ce sont des entreprises associées à des voleurs complices avec des étrangers. J'ai réalisé, hélas trop tard, que les richesses de la terre et de la mer de ce pays étaient interdites aux mains laborieuses.

Pardonnez-moi, vous qui vous accrochez toujours aux vestiges d’un pays volé, d’avoir renoncé à vos postes officiels; ces sièges érodés souvent réservés à ceux qui se livrent à la corruption et à ceux qui sont hqbitués à l'hypocrisie.

Je ne vous cache pas qu'en pliant bagages, ma tristesse était telle que je pleurais et lamentais sur le sort d'un pays où il n'y a souvent de place pour une vie décente et honnête. J'ai laissé cette terre à ceux qui ont choisi de vivre des miettes des corrompus, qui pillent sans cesse nos richesses, ou à ceux qui se contentent des aumônes de courtisanes et de leurs gains illicites dans les camps en dehors de la ville. Quant aux travailleurs opprimés, qu’Allah leurs prete secours.

Le jour où l'avion m'a emporté loin de votre capitale mélancolique, je n'avais dans ma valise que des souvenirs amers d'une époque misérable. Je l’ai vécue en me consolant de ces vers :

Mon pays, même s'il m'inflige de l’injustice,

demeure précieux à mon âme.

Et mes proches, quoiqu’ils me privent de leurs largesses,

sont toujours pour moi l'incarnation de la noblesse.

Dans mon regard ultime du hublot de l'avion, je voyais les quartiers pauvres et leur misère perpétuelle. Je me suis rappelé de cris de leurs ânes et de sérénades aurorales de leurs coqs, perturbant chaque nuit les quartiers aisés dans le voisinage.

Je voyais la capitale où j'avais vécu des années à attendre une vie digne de mes années d'études et de mes diplômes. J'ai eternellement attendu un emploi avant de tout déchirer dans un moment éphémère de désespoir et de folie.

Des sentiments mélangés et contradictoires m'envahissent, et les nuages blancs m'arrachent la silhouette de la très chère Dar-Naim. J'ai mystiquement aimé cette terre, et j'y ai enduré les longues années maigres. Je n'ai jamais pensé que je la quitterais, et pourtant je l'ai fait, de mon propre gré et sans la moindre ombre de regret.

J'ai survolé l'Afrique, l'Asie et l'Europe, avant que le vent me ramène en Amérique centrale. Soudainement, je me suis retrouvé avec d'autres âmes en quête escaladant des montagnes escarpées, et défiant, deux crépuscules successifs, les vagues impitoyables sur les embarcations de la mort.

Un soir sombre, j'ai suivi un passeur à travers une forêt effrayante, pleine de bruits inquiétants. Par ses gestes (je ne connaissais ni sa langue ni sa nationalité), il m'a fait comprendre que cette forêt silencieuse était sinistre et qu'il fallait être prudent face aux insectes et peut-être aux prédateurs. La peau imbibée d'insecticides, j'ai passé cette longue nuit guettant l'éclat salvateur de l'aube.

Nous sommes entrés au Mexique et y avons passé quelques jours. Certains ont été appréhendés, d'autres sont tombés entre les mains des gangs. Mais finalement, le rêve se métamorphose en vérité : j'ai surmonté le redoutable mur et suis arrivé en "Terre promise". Ici, et seulement ici, nous pouvons vivre dans l'espoir…

À ma chère Mauritanie, à ma famille, à mes compagnons d’âme, à l'étoile de ma vie et aux fruits de notre union, qu’Allah vous protège tous. Pardonnez-moi... Je confie votre terre à Allah.

Moctar Babtah est un journaliste et directeur de "Echourouq Media".

Cet article initialement paru en arabe dépeint littérairement les émotions d'un jeune migrant. Les faits racontés relèvent de la fiction.

Traduction : Echourouq Media.